1 - Extrait de l’article du Figaro du 21 février 2024 « Le « modèle » français à bout de souffle » de Bertille Bayart
Q - L'exécutif français avecson annonce de 10 milliards d'euros d'économies immédiates vient-il de se lancer (enfin) dans une politique d'austérité ?
L'exécutif a annoncé le 18 février 2024 10 milliards d'euros d'économies immédiates sur le budget de l'État. Un effort qui représente à peine 0,4% du PIB ou encore 0,8% des dépenses publiques, ou 2,3% des dépenses de l'État. Autant dire que la France est loin d'une politique d'austérité.
Q – Depuis quelques années l’exécutif français s’est-il attaqué aux problèmes structurels du pays ?
Avec le fléchissement de la croissance française l'État entre en régime de jeunes intermittents, avec des cures décidées au rythme des rentrées de recettes et du calendrier des agences de notation. L'an
dernier déjà, il avait passé un premier coup de rabot pour donner des gages à Standard and Poor's. Rebelote en ce mois de février 2024. (On est donc loin des mesures structurelles dont le pays aurait besoin)
Q - Comment ont évolué ces dernières années les dépenses de l'État ?
L'année 2024 sera, écrivait les sénateurs à l'automne, « La 5e année consécutive de déficit extrême ». Une dynamique apparemment infrangible. Le ministre délégué au budget, Thomas Cazenave avoue : « lesdépenses de l'État qui s'élevaient à 320 milliards d'euros en 2019 sont à prêt
plus de 400 milliards d'euros en 2023. »
De crise en crise, l'exécutif sous Emmanuel Macron a fait de l'État non pas l'assureur en dernier mais en premier ressort de l'économie.
Q - Quelles sont les mesures structurelles que le gouvernement s'interdit toujours de mettre en œuvre ?
Le gouvernement s'interdit les vieilles potions devenues politiquement incorrectes : on ne parle plus de réduire le nombre de fonctionnaires. Et personne ne prononce le mot privatisation qui semble appartenir au fond des âges. L'État détient pourtant un portefeuille de participation cotées de 52 milliards d'euros.
Q – L’exécutif et son dogme du « quoi qu’il en coûte » nous prépare-t-il de nouvelles bombes
budgétaires (d’explosion des dépenses publiques) en puissance ? Ou stoppe-t-il sa fuite en avant ?
(Les recettes fiscales qui fléchissent) et la pression que cela entraîne sur les finances de l'État aura eu un grand mérite : celui d'endiguer le flot de nouvelles bombes budgétaires en puissance.
Le gouvernement a refermé après 6 semaines le guichet du leasing social pour les voitures électriques devant lequel affluaient les Français. La subvention pouvait atteindre 13000€.
Le super bonus à 6000$ qu'avait souhaité Clément Beaune pour remplacer les deux-roues thermiques par des électriques ne verra jamais le jour
Il est probable que le gouvernement en ait enfin fini avec la création de bonus insolites (après les retouches de vêtements et autres ressemelages de chaussures).
Bercy dit aussi stop aux dérives du comptepersonnel de formation (CPF) créé en 2019 dont les coûts explosent pourun bénéfice aléatoire pour le marché de l'emploi.
(N'oublions pas que) de même que les normes engendrent un business de la norme, les subventions engendrent un business de la subvention que l’État n'a pas les moyens d'entretenir.
L'exécutif stoppe sa fuite en avant. C'est déjà cela. Mais il échoue à rétablir radicalement les comptes du pays.
Q - D'après Emmanuel Macron quelle est la cause principale de la piètre performance de nos finances publiques par rapport à celles de l'Allemagne ?
Emmanuel Macron en est convaincu : ce qui a fait la différence depuis 20 ans entre les finances publiques de l'Allemagne et celle de la France, ce n'est pas une règle d'or ou une aptitude naturelle à la
parcimonie, c'est le taux d'activité, autrement dit la quantité detravail, qui manque à la France par rapport à son voisin qui rend celui-ci 15% plus riche.
Le taux de chômage en France plafonne désormais. La réforme des retraites n'a été votée que l'an dernier, avec 5 ans de retard. Ramener le taux de chômage « ne sera pas possible à modèle social constant » répète Bruno Le Maire. Il faut réorienter radicalement le système de formation (lycée professionnel, apprentissage) vers les besoins de l'économie.
Q – Quelles mesures structurelles sont à mettre en œuvre pour redresser les finances publiques et le modèle social français ?
Déboulonner le modèle de 1945 et basculer le financement du modèle social qui repose sur le travail vers des ressources plus larges (TVA ou CSG) ; sans cela, la fameuse « désmicardisation » sera impossible. Réformer, encore, le système de retraite pour y injecter de la capitalisation. Élaguer, enfin, le millefeuille territorial. Sauf à s'attaquer à ces problèmes structurels l'exécutif restera prisonnier de son rabot.
2 - Extrait de l’interview du Figaro du 21 février 2024 « L'entreprise devient le dernier ascenseur social »
par Marie-Laetitia Bonavita de Lionel Roques, entrepreneur de terrain, auteur du livre « Laissez-nous bosser » aux Éditions de l'Observatoire (coécrit avec Isabelle Lasserre journaliste au Figaro), président fondateur du Franco European, groupe indépendant et familial de production audiovisuelle et d'événementiel.
Q Pourquoi doit-on davantage encourager en France l'entreprise et l'esprit d'entreprendre ?
Les entreprises sont essentielles au bien-être (et à larichesse) du pays.
Travailler ensemble est le meilleur moyen de ne pas renoncerà vivre ensemble. Face aux défaillances de notre système éducatif, l’entreprisedevient le dernier ascenseur social.
On écoute plus les gens qui bloquent le pays () que la froide colère silencieuse de la France qui travaille.
Q Les mots de Macron qui dévalorisent le travail et les entreprises.
Macron a fait l'erreur de parler d'« entreprises essentielles » lors de la crise du COVID. Qui sont alors les autres ? Toutes les entreprises - sont essentielles à notre pays ; certaines étaient juste vitales pendant le confinement.
L'autre grosse bévue est ce concept du « monde d'après » lancé à la mi-avril 2020 .() Ce concept censé venir effacer l'horrible monde d'avant. C'est à partir de là que nous sommes entrés dans le monde d'Alice au pays des merveilles, où il n'est plus nécessaire de travailler sauf peut-être un peu en télétravail où les semaines feraient 4 jours et où l'argent magique coulerait à flot. Avec un travail ainsi
dévalorisé, il était assez évident que les Français auraient du mal à comprendre la nécessité de la réforme des retraites.
Q Faut-il travailler plus en France ?
À sa conférence de presse, Emmanuel Macron a repris une phrase prononcée par Bruno Le Maire en 2023 où il expliquait que, si la France travaillait comme l'Allemagne, ce serait 300 milliards d'euros de plus pour l'État. De quoi financer les services publics souvent dans un état désastreux, la transition écologique et l’amorce du désengagement de la France. Dommage que cette phrase soit restée lettre morte.
Q La politique du « quoiqu'il en coûte » a-t-elle eu des effets positifs sur la société française ?
Le pire est que « cramer la caisse » n’amène pas notre société d'après à se porter mieux () la violence est,omniprésente, les jeunes sont perdus ; une apathie générale saisit les Français, qui ne veulent plus faire d'enfants (ni même l'amour) !
Q L'égalitarisme si cher à la France est-il un de ses atouts ?
(Pas si sûr). Le fameux égalitarisme si cher à notre pays se niche partout avec des conséquences parfois surprenantes. On diminue les cotisations sociales, mais uniquement sur les plus bas salaires, nos milliardaires sont très attaqués, car ils sont sur le marché du luxe, Bernard Arnault se fait insulter quand il donne aux Restos du cœur,
Q L’État est-il meilleur gestionnaire que le privé ?
La liste (des interventions de l’État) est sans fin pour un résultat : une part non négligeable des Français restent persuadés que, non seulement l'État peut dépenser à tout va, mais qu'il est un meilleur employeur que le privé. Ce qui est évidemment faux ! Il a été incapable de gérer les 35 h dans les hôpitaux et la moindre grève des salariés du public aboutit à bloquer le pays.
Q La France et en particulier l'Éducation nationale seraient-elles déconnectées de l'économie ?
Oui c'est un fait. L'éducation nationale ne s'intéresse pasà l'entreprise, n'en parle jamais- en tout cas, en bien - et participe donc à la méconnaissance économique des Français ;
Q Quels sont les facteurs d’affaiblissement de la société française
Sans compter que l'éducation nationale se montre maintenant laxiste dans les exigences du savoir. Résultat, nous assistons à un effondrement de la pensée, de l'esprit critique. Ajoutons à cela la démission des parents dans la transmission de valeurs, le recours généralisé d’une novlangue par notre classe politique, qui crée une grande confusion et le fléau du smartphone, invention certes superbe, mais indissociable des réseaux sociaux et de son lot de fake news. L’IA peut également, si elle n'est pas contrôlée, nuire gravement au cerveau, et donc à la démocratie.
Q Quelles sont les réformes prioritaires ?
D'abord mettre fin à la bureaucratie (attestations, formulaires, normes) qui finira non seulement par tuer les PME, mais également l'État lui-même, qui a toujours plus besoin de fonctionnaires - qu'il ne trouve pas - pour faire tourner un système absurde.
Ensuite baisser les cotisations sociales et les charges patronales afin d'améliorer le pouvoir d'achat de ceux qui bossent et la rentabilité des entreprises. Pour cela, il faut changer le système par
répartition qui consiste à travailler pour payer les retraites de nos parents.
La baisse de la démographie et les injonctions à la décroissance pour sauver la planète ébranlent les piliers de l'édifice.Peut-être faut-il réfléchir à l'alternative d'une taxe sur le chiffre d'affaires, comme le préconisait il y a 15 ans l'ancien patron du Figaro,Serge Dassault. Faire payer un modèle social toujours plus dispendieux par de moins en moins de gens qui travaillent nous amènent droit dans le mur.
La semaine de travail de 4 jours (évoquée par Gabriel Attal) m'inquiète. Bien qu'il s'en défende, il ne faudrait pas qu'elle aboutisse aux 32 heures.
3 - Extrait de l'article du Figaro du 19 février 2024 « Droit dans le mur de la dette » par Nicolas Baverez
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Q La France est-elle « surendettée » ?
La perte de contrôle par la France de ses finances publiques est un tabou dont nul n'ose parler. Pas un mot n'a été dit (par Emmanuel Macron et son Premier ministre Gabriel Attal lors de leurs nombreuses interventions publiques) sur le déficit et la dette publique, alors que notre pays se trouve désormais étranglé par son surendettement.
Q Quel est l'historique des excédents ou déficits budgétaires sous la 5e République ?
La France a enchaîné 50 ans de déficits puisque le dernier budget excédentaire remonte à 1974 (dernière année du mandat du Président Pompidou).
Q Cette situation a-telle des précédents ou des équivalents ?
Cette situation est sans précédent depuis l'Ancien Régime et n'a pas d'équivalent parmi les grands pays développés.
Q Comment la dette publique françaisea-t-elle évolué depuis 1980 ?
La dette publique a progressé de 20% du PIB en 1980, 58% en 2000, 85% en 2010 et 112,4% de 2023 où elle approche 3100 milliards d'euros, soit 45 000€ par Français.
Q Pour quelles raisons ?
La France a réagi au choc des dernières décennies par une envolée de dépenses publiques financées par la dette, stratégie poussée à ses limites par Emmanuel Macron, qui a emprunté plus de 750 milliards d'euros depuis 2017.
Q L'impact de la dette publique sur l'économie dépend-il de son niveau absolu ?
L'impact de la dette publique sur l'économie ne dépend pasde son niveau absolu, mais de sa soutenabilité - les États-Unis restent une exception du fait du monopole du dollar comme monnaie mondiale depuis 1945.
Q Pourquoi, contrairement à l'Italie, la France a-t-elle bénéficié d'une longue impunité auprès de ses créanciers ?
Contrairement à l'Italie, la France a bénéficié d'une longue impunité liée au cycle de diminution des taux d'intérêt, à la tolérance des Français à l'impôt et à la garantie financière implicite de l'Allemagne à travers l'euro. Cette bénévolence était terminée.
Q Pourquoi la dette publiquede la France est-elle aujourd'hui insoutenable ?
La dette publique de la France est aujourd'hui insoutenable.
1 - Insoutenabilité financière, parce que le déficit est structurel à hauteur de 4,5% du PIB, que les prélèvements obligatoires culminent à 48% du PIB, contre 41,9% dans la zone euroet 42,1% en Allemagne, que la charge de la dette publique atteindra 84 milliards d'euros en 2027 contre 40 en 2021 et que la croissance nominale passe sous les taux d'intérêt en 2024.
2 - Insoutenabilité monétaire, parce que la France fragilise la zone euro et que l'Allemagne ne veut, ni ne peut réassurer la dette française alors que son modèle mercantiliste a implosé.
3 - Insoutenabilité économique du fait de l'effondrement de la démographie (1,67 enfants par femme), une croissance limitée à 0,4% par an et d'une baisse de la productivité de 5% depuis 1989, de l'installation dans le chômage de masse 8% des effectifs fin 2024, du carcan du double déficit public - 5% du PIB - et commercial 20 milliards d'euros.
4 - Insoutenabilité opérationnelle, puisque la dette n'a pas financé des investissements, mais d'un côté, des dépenses de fonctionnement qui n'empêchent pas la débâcle des services publics de
l'éducation, de la santé, des transports, de la police ou de la justice, et, de l'autre, des transferts sociaux 34% du PIB qui s'accompagne, voire favorise, la désintégration et l'engagement de la société.
5 - Insoutenabilité politique et sociale, puisque l'emballement des dépenses et des dettes accélère le déclassement de la France, accroit la paupérisation des Français et alimente le populisme.
Q Comment évolue notredéficit public et nos dépenses publiques ?
L'objectif de ramener le déficit public en dessous de 3% du PIB, et la dette à 108% du PIB en 2027, relève de la fiction. Le déficit de l'État a atteint 173,3 milliards d'euros en 2023, tout près du record de179,9 milliards en 2020. Les dépenses publiques représentent 58,2% duPIB et ne cessent d'enfler avec la multiplication sans fin des subventions - énergie, bonus, voiture électrique, vélo, MaPrimRénov, ravaudage, prime d'activité, gratuité des sites culturels pendant les Jeux olympiques …
Q Comment ont évolué lesrecettes fiscales en France ?
Les recettes fiscales qui ont affiché une moins-value de 7,8 milliards en 2023, ralentissent avec la panne de l'activité (croissance de 0,6 % en 2024 et non de 1,4% selon les prévisions de la loi des finances) et la crise aiguë de l'immobilier, de la construction ou du commerce.
Q Quelle est l'importance denotre besoin de financement et comment peut-il être couvert ?
Le gigantesque besoin de financement de 290 milliards d'euros en 2024 ne pourra être couvert qu'au prix de la montée des taux d'intérêt et de la prime de risque, alors que la pression des marchés se
renforce.
Q Le surendettement public français peut-il déboucher sur une crise financière ? Contrairement à la démagogie dans laquelle la classe politique a entretenu les Français et qui a culminé avec le slogan suicidaire « Quoi qu'il en coûte », le surendettement public débouche toujours sur une crise financière majeure.
Q Quelles sont les issues possibles d'une crise financière publique ?
Et celle-ci (la crise financière) n'a que 2 issues : le défaut qui fait basculer la population dans l'anomie met en très grand risque la démocratie et place le pays dans la main des marchés et du FMI,
comme le montre l'Argentine ; ou bien une restructuration drastique au prix d'un effondrement du PIB ou du niveau de vie de la population, ainsi que l'a expérimenté la Grèce.
Q La soutenabilité de la dette peut-elle être recherchée par une hausse des impôts ?
Non, car cela n'aurait comme seul effet que de réduire encore la production et la croissance tout en paupérisant les Français. La révolte des agriculteurs contre les taxes et les normes venant après la
jacquerie des « gilets jaunes » contre la taxe carbone rappelle qu'il n'existe aucune marge pour augmenter la fiscalité de notre pays qui cumule toutes les formes de prélèvement avec les taux les plus élevés du monde développé.
Q Par quoi la soutenabilitéde la dette doit-elle être recherchée ?
La seule solution consiste dès lors à couper dans les dépenses improductives et à céder des actifs publics pour financer la réindustrialisation, la transition écologique, la révolution de l'IA et le réarmement.
Q Quelle est la cause profonde et culturelle de la crise financière de l'État français et son danger ?
Après avoir sacrifié l'État régalien et sa souveraineté à l'extension indéfinie des transferts sociaux, la France entre dans une zone de turbulences financières avec un président de la République enfermé dans le déni, sans projet, ni majorité.
Q Quelles sont les deuxconditions profondes pour remettre en ordre nos finances publiques ?
La remise en ordre des finances publiques passe par une profonde réforme de l’État, mais surtout par un changement radical d'état d'esprit. Présider et gouverner, ce n'est pas distribuer sans fin l'argent public, censé être gratuit et illimité, c'est faire des choix et des économies. ()