La crise politique française et la réforme de l'État

· Le déclin français et ses remèdes

1 - Extraits de l'interview de Florence Hegel professeur de sciences politiques à Sciences Po Paris et intitulé « Nous vivons une époque de crises continuelles ». Le Monde Hors-série Le bilan du monde (édition 2024)

1 - Les conditions pour la mise en œuvre d'une union entre les Républicains et le Rassemblement national sont-elles désormais réunies ?

R - Le RN a progressivement infusé ses idées au sein de la droite en particulier à partir de la 2e partie du mandat de Nicolas Sarkozy. Le vote de la loi immigration traduit un net glissement de Macron vers la droite sur un sujet cardinal.

2 - Sommes-nous entrés dans une crise de régime ?

R - Ce qui frappe : la place prise par les tractations e tles coups politiques venant de tous bords. Le capital de confiance vis-à-vis de Macron n'était pas très important au départ. La base des électeurs qui ont voté pour lui au premier tour de la présidentielle était assez étroite. Ce petit noyau est surtout constitué de personnes âgées. () Aujourd'hui on vote davantage dans une logique d'élimination du pire que d'adhésion au meilleur.

3 - La majorité est-elle en voie d'implosion ?

R - L'ampleur de la défection au sein des groupes qui soutiennent Emmanuel Macron est surprenante. A la suite des élections législatives de 2022, le groupe Renaissance avait été réduit et un certain nombre de novices de la politique ont été écartés ou ont été battus. On aurait donc pu penser que ce groupe plus professionnalisé serait plus cohérent. Au,contraire les divergences se sont clairement exprimées () les députés se sont déjà projetés dans l'après Macron. () Plus l'échéance présidentielle approchera, plus la pression à la recomposition s'accentuera, Par exemple si des profils comme Edouard Philippe ou Gérarld Darmanin, tous deux représentant l'aile droite du macronisme émergent comme candidat.

4 - Le gouvernement d’Elizabeth Borne est-il celui qui a eu le plus recours au 49.3 sous la 5e République ?

R - Le gouvernement de la 5e République qui, à ce jour, a le plus utilisé le 49 3 est celui de Michel Rocard entre 1988 et 199. Et ensuite le gouvernement d’Élisabeth Borne. Entre-temps la réforme constitutionnelle de 2008 a restreint les conditions d'usage du 49 3 au texte financier. Sinon, la règle est l'emploi d'un seul 49. 3 par session ordinaire. Derrière le 49.3 il existe toujours des négociations au sein du Parlement. () Car la vie parlementaire est faite de marchandages.

L'équilibre entre marchandages et délibération sera rompu au détriment du 2e terme. Le gouvernement a attendu de moins en moins longtemps pour avoir recours aux 49 3. Cela signifie que le temps du débat déjà réduit par l'usage du 49 3 l’était encore plus. S’agissant de la loi sur l'immigration, l'adoption d'une motion de rejet préalable par l'opposition est allé également dans le sens d'une réduction de la délibération.

Le Sénat est devenu central. Il a souvent été saisi en premier pour examiner les textes, car il est plus prompt à entrer dans les négociations, à faire des compromis.

5 - Les conditions pour la mise en œuvre d'une union de droite sont-elles actuellement remplies ?
R - Oui, ou presque et pour 3 raisons :

· Le rapprochement de LR avec les thèmes du RN sur les questions d'immigration et d'identité nationale en particulier

· La dédiabolisation du RN en particulier sur la question de l'antisémitisme, dans la mesure où le RN a pu participer, en novembre 2023, à Paris, à la manifestation contre l'antisémitisme.

· La moindre saillance de la question européenne pour le RN. L’anti-européanisme du RN l'opposait à LR. Ce verrou aussi a un peu sauté. () Jusqu'à présent la stratégie de LR était de s'opposer au RN en se
revendiquant comme un parti de gouvernement, raisonnable. () Les choses sont en train de changer. La stratégie du groupe parlementaire RN à l'Assemblée nationale a pour objectif de se donner une image de parti respectable capable de gouverner. () Cette nouvelle image peut convaincre des électeurs LR de
soutenir une alliance avec le RN.

6 - Quelle stratégie les forces de gauche peuvent-elles mettre en place pour arrêter la banalisation de RN ?

R - La gauche n’a pas réussi jusqu'à présent à imposer d'autres thèmes en remplacement de ceux du RN. (Par exemple) la question du travail. Pas seulement de l'emploi ou des retraites, mais aussi de la qualité du travail, de son organisation peut être une stratégie prometteuse.

7 - (Où en est le RN de sa respectabilisation ?

R - Le RN a investi la tribune de l'Assemblée nationale (pour avoir plus de respectabilité). Par exemple, le RN a obtenu deux postes de vice-président, plus que ceux qu'exigeait la taille de son groupe parlementaire. Ces deux vice-présidents animent des séances, maintiennent l'ordre parlementaire et remettent en cause les discours plus contestataires de la France insoumise. Cela participe de la respectabilisation de son image. (Pour l'instant les membres du RN ont peu « déraper »). Jusqu'à présent, un seul député RN a été sanctionné, car il avait attaqué un parlementaire en lui lançant : « Retourne en Afrique ! »

8 - La coalition de gauche, la Nupes, est-elle au bordde l'implosion ?
R - La Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale (Nupes) est un accord électoral conclu entre la présidentielle et les législatives de 2022, et rien d'autre - ni au niveau du Parlement où la coordination a été très faible, ni au niveau des partis. Cet accord a deuxs pécificités. D'une part il porte sur le hoix d'un candidat commun alors que l'union de la gauche prenait la forme d'un désistement au 2nd tour. D'autre part, cet accord s'est scellé sous la domination de LFI. Je pense qu'il y aura un nouvel accord électoral en 2027, car, dans les institutions de la 5e république il faut faire des alliances aux législatives pour pouvoir être élu.
La création d'un pôle entre les écologistes, socialistes et communistes et Incluant Place publique auquel se rallierait des membres de LFI critique à l'égard de Jean-Luc Mélenchon est un scénario
possible.

9 - Quelles sont les formes possibles d'accord pourcréer des alliances aux législatives ?
R - Un désistement au 2nd tour ou un candidat uniqueou un groupe parlementaire commun.

Q 10 - Quel avenir pour LFI ?
R - LFI est une organisation qui reste restructurée, très informelle, et, en dépit des valeurs qu'elle prône, aussi peu démocratiques que très personnalisées. () Ses dissensions internes étaient prévisibles. Et il semble que ce parti ne pourra pas faire l'économie d'une transformation, avec
une moindre personnalisation autour de Jean-Luc Mélenchon, et une plus grande démocratie interne.

Q 11 - La société française est-elle en train deperdre espoir dans le politique ?
R - Nous vivons une époque de crises continuelles, à la fois interne, avec les mobilisations contre la réforme des retraites ou les émeutes urbaines, et externes, avec les guerres en Ukraine et à Gaza.

() La critique de la démocratie représentative existedepuis bien longtemps (dans notre pays).
Le rapport à la violence en France, qui a une dimension historique très ancienne mais qui est aussi liée au particularisme de nos institutions - assez centralisées, avec un rapport très fort à l'autorité
(la figure omnipotente du président de la République) et une contestation récurrente de celle-ci.

 

2 - Extraits de l’article de Guillaume Tabard « Des débats institutionnels qui ne peuvent pas être découplés » Contre-point. Le Figaro, jeudi 7 mars 2024

Q - Qu'est ce qui fait qu'en France, actuellement, beaucoup de projets d'ordre institutionnel ou électoral n'aboutissent pas ? Que pensent les Français du vote à la proportionnelle ?
R - Il est rare que des projets d'ordre institutionnel ouélectoral aboutissent. Cette incapacité à conclure vient de ce que personnene va au bout de la logique d'une idée ; -() La proportionnelle ? Les Français sont pour de manière écrasante. Mais les mêmes Français se plaignent d’élus trop coupés à leurs yeux de leur vie concrète. Et comment garantir un lien avec un terrain et une population donnée sans un scrutin territorialisé ? Il est vrai, en même temps, qu'en
dépit du résultat constaté en 2022 le système majoritaire tend à déformer la photographie politique du pays et à écraser les partis minoritaires.

Q - Quel serait le meilleur mode de scrutin pour la France ?
R - Nul ne pourra conclure à la supériorité d'un mode de scrutin sur un autre. Il faudra que chacun prenne acte que chaque système a son revers. Et en conséquence inscrire son option dans une vision plus large du rôle d'un député ou d'un sénateur. Il en va de même de la question ducumul. Ou encore du nombre de parlementaires que le chef d'état voulait initialement réduire.

Q - Quels sont les rôles possibles d'un parlementaire ?
R - Un parlementaire est-il d'abord le porte-voix d'une partie de la population ? D'abord un fabricant de la loi ? D'abord un contrôleur de l'action gouvernementale ? Faut-il dénoncer un excès de centralisation
du pouvoir et renforcer en conséquence le rôle du parlement ? Ou à l'inverse penser que l'efficacité et la rapidité de l'action imposent d'assumer plus nettement encore la prééminence de l'exécutif ?

Q - Le président Macron a-t-il apporté des solutions inédites et intéressantes pour relancer la vie démocratique française ?
R - Il en va de même des moyens de relance de la vie démocratique. Macron a tenté des solutions inédites : les États généraux ou les conventions citoyennes ; par-delà d'inévitables ratés, il y a des
leçons intéressantes à en tirer.

Q - Quel est l’outil d’expression démocratiquepourtant plébiscité par l'opinion que le président Macron n’a jamais utilisé ?
R - Mais il n'a jamais utilisé l'arme du référendum réclamé par tous les partiset plébiscités par l'opinion. Il faudra choisir.

Q - Qu’implique nécessairement une modification des institutions en France ?
R - Une réflexion sur une modification des institutions est inséparable d'une réflexion sur l'organisation territoriale du pays. () Une véritable refonte démocratique sera donc organique et globale ou ne sera pas.

Q - Comment préparer la réforme organique des insittutions ?
R - Pourquoi pas - par une convention citoyenne ou un grand débat national.