Le droit du sol n'est pas consubstantiel à la conception républicaine de la France

Le cas Mayotte

· Religions et laïcité

Intervention de Natacha Polony lors de l'émission de C5 "Droit du sol, une remise en cause dangereuse ?" le 13 février 2024
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Je crois que l’histoire du droit du sol à Mayotte pose le problème de 3 manières différentes. Il y a la dimension historique, puis la dimension qui est politicienne et enfin il y a la dimension de fond, sur ce que ça nous dit de la nation.

 

La dimension historique, c'est qu'on est au bout d'un processus assez aberrant parce que, de fait, Valérie Giscard d'Estaing décide de détacher Mayotte des Comores parce que Mayotte a majoritairement voté pour rester en France. De fait, c'est illégal et c'est une absurdité. C'est une conception très colonialiste de ce qu'est ce référendum. Et ça aboutit à une catastrophe amplifiée par le choix de Nicolas Sarkozy de départementaliser Mayotte et c'est un choix là aussi qui est extrêmement hypocrite. Parce qu’on donne ce statut mais qu’on se moque derrière des conditions de vie réelles des Mahorais. Déjà dans l'ensemble des Outre-mer, il y a des situations qui sont une honte pour la République mais alors à Mayotte c'est pire que tout. Donc ça c'est la dimension historique. Mayotte c'est la honte de la République parce que n'importe quel citoyen français refuserait de vivre dans les conditions dans lesquelles on laisse les Mahorais. C'est scandaleux. Et si c'est un département, il faut en tirer les conséquences. Sauf que ces conséquences vont coûter très cher et qu’il faut s’en donner les moyens. Il faut réfléchir à la manière dont on fait en sorte que ces citoyens aient accès à des écoles mais ça passe par le règlement de la question migratoire.

 

Second point, la question politicienne : il s'agit de faire un effet d'annonce. Mais la parole de Gérald Darmanin n'est pas performative : il ne suffit pas de dire pour faire. Et c'est là aussiéminemment hypocrite.

 

Le troisième point concerne la question de la nation : le droit du sol, quand on regarde historiquement comment est apparu, puis comment il a disparu et comment il est revenu, n'est pas consubstantiel à la conception républicaine de notre pays. En revanche, il est lié à l'idée d'intégration et il ne doit pas être détaché de la conception de l'intégration.

Je rappelle qu'il apparaît à la Révolution française parce qu'avant ça n'a pas de sens ; on est sujet du roi si on est né sur les terres du roi. Mais ça, ce n'est pas le droit du sol. Le droit du sol vient quand on est citoyen. l est mis en place par les révolutionnaires certes contre les émigrés, les aristocrates qui sont
partis pour faire en sorte que leurs enfants ne soient pas français. Mais aussi parce qu'il est lié au droit d'asile et à l'idée que tous ceux qui viennent d'ailleurs vont venir en France parce que c'est la patrie de la liberté et donc qu’ils adhèrent au principe de la République, aux principes de liberté et donc on doit les accueillir.

 

Ces principes-là, disparaissent ensuite au 19e siècle. Sous la 2e République il n’y a pas de droit du sol non plus qu’au début de la 3e République. En 1889 le droit du sol fait son retour. Pourquoi ? Parce que la France impose 3 ans de conscription pour les jeunes Français et que la France est devenue une terre d'immigration. Et qu'en fait, il y a une inégalité entre les enfants français et les enfants d'immigrés qui ne doivent pas se payer 3 ans de service militaire. Donc on règle cela en disant « Eh bien ils seront français. Et hop. » Et d'ailleurs c'est la même année qu'on a une réglementation sur la conscription.

La journaliste : Et finalement vous dites qui ce ne sont pas des grands idéaux qui ont donnés lieu à la création du droit du sol mais plutôt des considérations (de circonstances).

Natacha Polony : Pas des grands idéaux, à ceci près que les révolutionnaires si. Ils ont cet idéal qui consiste à dire : « Nous sommes la patrie de la liberté et nous devons accueillir ceux qui se battent pour
elle ». Ces principes, c'est à nous aujourd'hui de nous poser la question de ce que nous faisons de cela. C'est-à-dire de la transmission de ces principes et des conséquences que nous en tirons sur ce que c'est que la nationalité.