Interview de Jean-François Colosimo sur LCI 8 avril 2024
Q - Qu'est-ce que le groupe des 5 ?
Le groupe des 5 c'est-à-dire le russe Poutine, le turc Erdoğan, l'iranien Khamenei, le chinois Xi Jinping et l'indien Modi (vont contribuer à faire basculer la planète). C'est une alliance un peu de circonstances mais c'est leur histoire qui est commune. Leur convergence actuelle vient de ce qu’ils sont les héritiers tous les 5 de grands empires : tsariste, ottoman, perse, mogol, et pour Xi l'empire Han ou mandchou (mandchou, c’est déjà un empire un peu étranger). Ces empires ont été des puissances phénoménales puis ils ont été totalement sous le choc de l'expansion de l'Europe à partir des grandes découvertes à partir de 1492.
Q - Comment ces empires ont-ils réagi à leur décadence du XIX° siècle ?
Ils ont eu alors un impératif ; c'est de se moderniser, parce que, d'un coup, ils étaient en décalage complet. Se moderniser ça voulait dire adopter l'armée à la manière européenne, l'administration à la manière européenne, la technique surtout, parce qu il y avait cette fascination pour la technique, le feu
prométhéen qui permet à ces armées occidentales d'être si fortes. Puis aussi un tout petit peu l'université, parce que ça compte si vous ne voulez pas que ça soit un autre que vous qui écrive votre histoire. Ces empires ont connu au 18e siècle au moment des grandes réformes : ça s'appelait les tanzimat dans l'empire ottoman, les "vieliquié reformii" en Russie. Mais ces réformes ont échoué. Alors
il y a eu des révolutions à partir de du 20e siècle. Et là la modernisation, l'occidentalisation a été faite à outrance.
Q - Qu'elles ont été les deux voies qui se sont ouvertes après l'échec initial des réformes de ces 5 empires ?
D'un coup il y a eu deux voies : le nationalisme autoritaire. Fini l'empire perse ça devient l'Iran, fini l'empire ottoman ça devient la Turquie, l’empire des Indes ça devient l'Inde de Nehru.
Et puis de l’autre côté le communisme avec Lénine, Staline et Mao. Mais alors là on a eu une déferlante d'occidentalisation. C'est-à-dire que véritablement on a les années zéro. On supprime notre passé et surtout on supprime cette culture qui nous colle, qui vient du fond des âges et qui nous empêche d'être moderne. C'est ça l’apocalypse.
Q - Quelle erreur majeure ont commis les révolutionnaires qui ont voulu réformer les pays issus des 5 empires ?
Cette apocalypse (de révolutions) a débouché sur un échec formidable. Parce que ces potentats, Lénine, Mao, Kemal, Pahlavi, Nehru qui marquaient la vie de leur pays et leur influence sur le monde marquaient aussi la victoire de l'Occident. Grâce à eux l'Occident régnait sur le monde. Mais ils avaient commis une erreur : ils avaient voulu combattre ce qu'ils appelaient l'obscurantisme c'est-à-dire la religion. Ils avaient instauré des religions séculières : par exemple le cadavre de Lénine momifié derrière le Kremlin qu'il fallait aller adorer, la révolution culturelle de Mao, Pahlavi, lui, voulait voulait revenir à la religion de la Perse antique. Persépolis c'est un spectacle hallucinant qui avait quelque chose d'un peu hollywoodien en carton-pâte.
Leurs successeurs se sont dit, et c'était là leur erreur, continuons à être autoritaire.
Q - Comment les dirigeants actuels de ces 5 pays ont-ils réagi à cette erreur ?
Alors, aujourd'hui Poutine, Xi, Modhi, Khamenei disent retrouvons, non pas abandonnons, ces religions séculières qui sont mortes. En plus elles promettaient le ciel sur terre, ce qui n’est jamais arrivé. Alors, allons dans le cagibi, dans le musée et ressortons les vieilles religions ce que fait très bien le dirigeant de l'Inde Modi.
La religion c’est formidable pour domestiquer les masses. Il y a même un peu plus que ça. Poutine a fondé le Congrès russe mondial. (pour mener) la bataille véritablement contre Satan. Poutine désormais parle comme ça. Désormais ce qui est engagé c’est la bataille contre Satan. Nous sommes l’ennemi mondial numéro un.
Un journaliste : est-ce que Satan n’aurait pas pu être (pour les Russes) le fondamentalisme islamiste ? Quand on voit l'attentat du Crocus à Moscou on aurait pu se dire l'ennemi commun de l'Occident et de la Russie, c'est le fondamentalisme islamiste. Et ça n'a pas du tout été le cas.