« Continue comme ça, Donald Trump ! » de Charles Jaigu Le Figaro du 7 novembre 2024 (page 17)
Notre marché unique est inachevé, cause structurante de la faiblesse européenne face aux amis américains. Enrico Letta publie un livre qui récapitule son rapport remis au début de l'année. Le moment idéal pour se poser la question.
L'Europe doit s'armer de courage et d'un peu de bon sens.
L'Europe est une zone économique en sous-régime de croissance depuis trop longtemps. Et les solutions sont là. Elles sont convaincantes et poussées par le rapport de Mario Draghi en septembre ou celui d'Enrico Letta (ancien ministre italien). Deux italiens qui savent ce que l'Europe apporte à leur pays.
L'ancien président de la Commission européenne (1985-1994) Delors avait convaincu les 12 membres de la communauté européenne de construire un marché commun édifié sur 2 piliers : la libre circulation des biens et des personnes. En furent exclus les services bancaires et financiers, l'énergie et les télécommunications. Il était trop tôt aux yeux des pays membres. Après tout, rien ne pressait. l'Inde et la Chine ne représentait que 5% du commerce mondial. Mais aujourd'hui, l'Inde et la Chine pèsent plus de 20% des échanges. Et la croissance américaine écrase l'Union européenne.
Il est donc temps de terminer le boulot. Ursula von derLeyen peut en sortir grandie. Elle a raté son premier mandat en forçant l'UE à accomplir une transition énergétique précipitée, coûteuse, suicidaire pour l'industrie automobile ; elle a laissé en l'état un marché de l'électricité artificiel, dont le prix est beaucoup plus trop élevé, simplement pour aider l'Allemagne à financer son parc éolien. Elle a également saboté le projet de d'une souveraineté aux frontières qu'incarnait Frontex. (-) Elle arrive donc avec un bilan très décevant pour son propre camp, la droite. Cette fois-ci elle a placé sa nouvelle feuille de route sous le signe de la compétitivité économique.Le seul moyen d'y parvenir, nous dit Letta, n'est pas - pour le moment - de la faciliter par la dette européenne dont les pays frugaux ne veulent pas. Il s'agit seulement d'intégrer au marché unique le droit des affaires, les télécommunications ou l'épargne, qui restent pour le moment cantonnés aux 27 marchés nationaux. Il propose donc d'organiser l'accès direct et simplifié des petites et grandes entreprises à tous les consommateurs. La solution ? "Créer un vingt-huitième système juridique auquel les entreprises pourraient adhérer, en dérogeant au système national". Letta : « Les marchés nationaux sont devenus un obstacle à l'innovation des entreprises, et c'est particulièrement vrai pour les télécoms. Pourquoi avons-nous encore 27 indicatifs téléphoniques en Europe et une centaine d'opérateurs concurrents ? - Un européen ne compte en moyenne que 5millions de clients, contre 107 millions aux États-Unis et 467 millions en Chine. »
« Les Européens ont dépensé 143 milliards d'euros pour aider l'Ukraine, dont 80% en matériel militaire acheté aux Américains."
Letta suggère de changer le cahier des charges du Mécanisme européen de stabilité, créé en 2012 pour aider les pays surendettés il n'a jamais servi, car l'Italie y voyait une menace pour sa souveraineté. « Utilisons les 100 milliards d'euros de créances pour édifier une industrie de défense partagée entre les 7 pays qui ont en Europe une compétence dans ce sens. Je suis sûr que l'Italie sera d'accord. »
De la même manière, faute d'avoir achevé le marché financier européen, les 26 membres de l'Union peinent à financer l'innovation sur leur sol. « L'UE détient 33000 milliards d'euros d'épargne privée. En raison de la fragmentation de nos marchés financiers, 300 milliards d'euros issus de l'épargne des ménages européens sont détournés chaque année vers l'étranger. Il faut donc créer une Union de l'épargne et de l'investissement. »
Cela fait 50 ans que l'Europe finance les déficits américains et un siècle qu'elle y envoie ses meilleurs cerveaux.