Un certain anti-américanisme : un racisme certain
Extrait de l’article de Guy Dhoquois, Régine Dhoquois-Cohen dans Confluences Méditerranée 2002/1(N°40), pages 71 à 79 - https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2002-1-page-71.htm - Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2011
Quand nous faisons le plus difficile, avons-nous encore accès au plus simple ? Quand nous argumentons de façon justifiée contre les Etats-Unis d’Amérique, ne faisons-nous pas le jeu d’un racisme nouveau, l’anti-américanisme, qui étale des préjugés et se passe de tout raisonnement digne de ce nom ?
Innovation sémantique, l’expression anti-américanisme est devenue un mot commun, le seul racisme communément admis. Les Américains étaient de « grands enfants ». Aujourd’hui ils nous dicteraient de plus notre comportement, nous imposeraient leur « malbouffe », inonderaient le monde de leur culture audiovisuelle, « bombarderaient des peuples sans défense ». La conclusion est logique : le 11 septembre 2001, ils ont eu « ce qu’ils méritaient ».
Tout racisme s’enracine dans le biologique. Les Allemands étaient d’infects mangeurs de choucroute, les Italiens des macaronis. Les Américains nous imposent leurs hamburgers et leur coca-cola. N’oublions pourtant pas que nul n’est tenu à ce genre de consommation.
Les Etats-Unis sont le leader actuel de cette « civilisation occidentale » qui a maltraité et
brutalisé les peuples de ce qu’on appelle le Tiers-Monde, les a privés de leur avenir autonome au nom d’un universalisme qui ne serait jamais que celui de l’Extrême-Occident.
Depuis la disparition sans gloire de l’Union Soviétique en 1991, les Etats-Unis sont la seule « super-puissance ». D’eux viendrait tout le mal, principalement et symboliquement en conséquence de leur soutien inconditionnel à Israël, y compris dans son expansionnisme, en négation de toute loi internationale.
Beaucoup de personnes en France, dans toutes les couches de la population et
plus particulièrement à l’extrême gauche, font objectivement des Etats-Unis le
grand Satan.
La raison est critique. On a le droit de critiquer les Etats-Unis. Vers 1970 ce fut même un devoir. Le général de Gaulle avait déclaré qu’il est « inadmissible qu’une grande nation en bombarde une petite ». Les Etats-Unis se livraient à une agression mille fois condamnable contre le Vietnam, pays qui cherchait selon ses moyens à assurer son indépendance. C’est la seule guerre qu’ils aient perdue de fait. Ils soutenaient en Amérique Latine des dictatures plus atroces les unes que les autres.
Les Etats-Unis ont souvent mené une politique dangereuse, voire criminelle. Mais une recette inusable du racisme est l’amalgame. On met sur le même plan tous les bombardementsaméricains. Était-il répréhensible de bombarder l’Allemagne nazie ? Tout est discutable. Est-il incompréhensible que des frappes techniques sur la Serbie aient rendue possible la liberté du Kossovo, pays musulman ? Ajoutons que ce sont les Yougoslaves qui se sont débarrassés de Milosévic.
Les Etats-Unis, même limitant leur force, sont si puissants qu’ils en sont pesants. Ils jouent à l’éléphant dans le magasin de porcelaine. Quand les Etats-Unis éternuent, le monde s’enrhume. Faut-il pour autant remplacer la saine critique rationnelle parun anti-américanisme a priori qui devient, faute d’être réflexif, réflexe,
stéréotype, préjugé ?
Toute condamnation a priori d’êtres humains est un racisme, au moindre mal une xénophobie. Un grandnombre de personnes qui se croient de gauche utilisent pour les Etats-Unis des termes d’une rare goujaterie qui sont construits structuralement sur le modèle trop facilement oublié de la « ploutocratie anglo-saxonne » des nazis.
N’oublions jamais que les opprimés d’aujourd’hui sont les oppresseurs de demain, peut-être pires, si le système inégalitaire n’est pas renversé. Ne sombrons pas dans l’angélisme. ()
L’impérialisme est un adversaire particulièrement redoutable. Il est peut-être le stade final du capitalisme, stade qui a de grandes chances de durer un certain temps. Il ne suffit pas de diagnostiquer une maladie pour faire disparaître celle-ci. Il ne suffit pas de piaffer sur place en criant « A bas le grand capital ! » pour ébranler celui-ci.
Par excès non contrôlé d’anti-américanisme et plus largement d’anti-occidentalisme, de bonnes âmes s’accommodent volontiers de régimes de type fasciste qui sont surtout éprouvants, il est vrai, pour les populations qui les subissent. Le problème est certes ancien. Les Égyptiens Nasser et Sadate ont fait partie un temps des « chemises vertes » par haine de l’occupant britannique. Certains membres du FLN algérien de 1954 avaient eu des sympathies pour l’Allemagne pendant la guerre mondiale. Saddam Hussein a fait publier en Suisse un livre en allemand intitulé UnsererKampf.
On devine chez certains un anti-sémitisme pour le moins rampant ou un amour exagéré de la force et de la violence, plus proche de Machiavel que de Marx. Même si tout est rapport de forces, beaucoup de ces rapports de forces se présentent de façon pacifique.
Aucune attitude humaine n’est pure. Le pire est que la pureté soit érigée en principe par transfert de l’impureté sur un bouc émissaire. Ce vieux procédé est toujours efficace ettoujours condamnable. Les Etats-Unis n’ont pas le monopole de l’impureté. Trop de gens soi-disant de gauche sont racistes par anti racisme.L’essentiel est de ne pas être raciste du tout.
Les Etats-Unis sont La superpuissance dans tous les domaines, ce que l’Union
Soviétique n’a jamais été. Il est vain de le leur reprocher à moins de vouloir rejoindre la horde sansfin des envieux, des grincheux, des frustrés, bref, des esprits négatifs. La coalition des médiocres ne souhaite qu’une liberté, celle de la médiocrité.
Il est toujours bon de revenir à Marx. Celui-ci disait que « la nation la plus industrialisée montre leur avenir aux autres ». C’est ce que font les Etats-Unis, pour le meilleur et pour le pire. C’est à nous tous de trier et d’avertir. L’anti-américain moyen, étendant ses facultés de mépris, ne pense pas que le bon peuple en soit capable. Étalant ses incohérences, il ne rejettera pas pour autant son micro-ordinateur.
Evitons que certains d’entre nous par confort intellectuel se fassent les fourriers d’un totalitarisme quelconque, éventuellement gluant, visqueux et hypocrite. Tel a été souvent le cas. Ce qu’il y a de positif dans cette misère, c’est que même les anti-américains ont du mal à accuser les Etats-Unis de totalitarisme à moins de se cantonner dans la marchandise qui malheureusement pour eux est universelle, planétaire. Les meilleurs opposants aux Etats-Unis se trouvent aux Etats-Unis eux-mêmes. Certains des pires aussi. Ils s’expriment librement.
Quand on est anti-américain, il vaut mieux se boucher les yeux et les oreilles, refuser les musiques, les films, les livres qui viennent d’Amérique et qui sont pour une bonne part ceux de notre temps. Les anti-américains ont le droit de ne pas écouter de
jazz ou de ne jamais voir un film du cinéma indépendant des Etats-Unis. Tout n’est pas à rejeter dans Hollywood ou la musique dite de variétés. Et de quel droit s’ériger en censeur des goûts des autres ?
Nombre d’anti-américains se plaignent hypocritement de ce que les Etats-Unis ne soient pas un grand leader spirituel. Ceci montre d’abord qu’ils ressentent le besoin d’un tel leader.Pourquoi pas d’un gourou ? Ceci montre ensuite qu’ils veulent ignorer que le monde entier s’est endéfinitive coalisé pour construire les Etats-Unis d’Amérique.
Ils commencent par oublier que les Etats-Unis sont issus de l’ère des révolutions qui a commencé de métamorphoser l’Europe aux XVIIe et XVIIIe siècles. Leurs libertés sont d’origine britannique. Elles proviennent aussi des Lumières européennes. Nous nesommes malheureusement pas sortis des Lumières. Elles sont insuffisantes. Pour le moment nous ne sommes pas près de dépasser ce stade historique.
Les Etats-Unis sont une grande Nation, la seule à s’être bâtie et à se perpétuer
autour de sa Constitution. Leur démocratie est tragiquement insuffisante. C’est un moindre mal, qualitativement supérieur à toute tyrannie, à tout despotisme. Marx, soutenant l’action du président Lincoln, le savait bien.
Issus des Lumières, les droits de l’homme ne sont pas un obstacle au développement, au mieux une utopie lointaine. Ils sont la condition du développement, ce que beaucoup d’anti-américains piétinent allégrement. Ils sont le seul rempart à ce jour contre les abus que le capitalisme comporte en lui-même. Ils sont l’antidote dont le capitalisme en lui-même a besoin : Etat de droit, sûreté des personnes et des biens, liberté d’opinion, même religieuse. De jeunes pays hyper-capitalistes méprisent la liberté d’expression, par exemple la Malaisie musulmane, le Singapour chinois. Ils montrent ainsi les limites de leur croissance.
Les droits de l’homme, de l’être humain, donc de la femme. Plus une nation est développée, plus elle respecte les droits de la femme. Nombre d’anti-américains ignorent scandaleusement la moitié de l’humanité. Les Etats-Unis vont dans le bon sens, même si l’on peut toujours y craindre des revirements réactionnaires.
Une fois débarrassés des simplismes éhontés de l’anti-américanisme primaire, sommaire, viscéral, forme post-moderne de racisme, nous pourrons enfin critiquer librement et rationnellement les Etats-Unis d’Amérique comme nous critiquons nos propres sociétés.
Un paradoxe des violences de notre histoire est que les peuples du Tiers-Monde ont plus pâti des colonialismes européens que du fameux impérialisme américain.
Remarque : Les Américains ont contré les colonialismes européens (Faible assistance aux Français en Indochine, Affaire de Suez en 1956)